Rencontre en Californie avec Dennis Lehane, géant du polar, exilé dont le coeur penche toujours pour sa ville d'origine, et qui sort « Après la chute ».
Il est l'un des plus grands auteurs américains vivants de polars, dont plusieurs romans, comme « Mystic River », « Gone Baby Gone » ou « Shutter Island », ont été adaptés au cinéma. Originaire de Boston, Dennis Lehane, 45 ans, y a situé tous ses livres, dont le nouveau, « Après la chute ». Pourtant, il est désormais installé près de la seule plage tranquille de Los Angeles, car il travaille pour le cinéma et la télévision. Il dirige en ce moment la cellule d'auteurs qui écrit les épisodes de la deuxième saison de « Mr. Mercedes », série adaptée de la trilogie de Stephen King. Rencontre au soleil avec un géant de la littérature qui a souvent choisi des gens simples, des « oubliés de l'Amérique », comme héros.
Pourquoi avez-vous quitté votre chère ville de Boston pour Los Angeles ?
Dennis Lehane. Je suis venu ici il y a quatre ans pour travailler pour des séries télé, et j'ai fini par avoir tellement de boulot que je m'y suis installé ! Ma famille adore, alors... Je suis toujours aussi attaché à Boston, et ça me rend un peu triste. Mais bon : Los Angeles m'apporte énormément du point de vue professionnel.
Pourquoi continuer à écrire sur Boston sans y vivre ?
Oh, je dirais que c'est en grande partie lié au mal du pays ! Chacun de mes livres est imprégné d'une partie de la ville, que j'ai fréquentée à titre privé. Le nouveau, « Après la chute », se situe à Back Bay, la partie riche de Boston. Même quand j'étais moi-même pauvre, j'adorais ce quartier, j'y traînais et j'y ai travaillé. On peut écrire après coup sur des lieux qui nous sont familiers : les rues ne changent pas. J'écrirai toujours sur Boston.
C'est le premier de vos livres dont le personnage principal est une héroïne. Pourquoi ?
C'est venu naturellement. Beaucoup de mes livres sont nés après une image que j'avais en tête et que j'ai développée par la suite. Pour celui-ci, l'image était celle d'un homme qui sortait de la tour John Hancock (NDLR : le plus haut gratte-ciel de Boston) et dont le reflet était multiplié à cause de la pluie. À partir de là, j'ai construit l'intrigue : pourquoi est-il là alors qu'il est supposé être ailleurs ? Qui l'observe et se pose des questions ? Ça ne pouvait être qu'une femme, et ainsi est née Rachel.
Etait-ce difficile de se glisser dans la peau d'une femme ?
Absolument pas. J'ai trouvé bien plus dur de décrire un personnage africain, par exemple. Non, la difficulté avec Rachel s'est posée ailleurs : elle est introvertie et agoraphobe, alors que tous mes héros ont toujours été des extravertis.
Ce livre a une construction très particulière : une longue première partie en forme de portrait, puis tout bascule...
Je voulais écrire une histoire à la façon d'Hitchcock. Ses films ne démarrent jamais en boulet de canon : il met tranquillement les éléments en place, immerge le spectateur en douceur, avant une soudaine bascule. C'est ce que j'ai voulu faire avec « Après la chute », en insistant aussi, comme Hitchcock, sur l'importance du passé dans le comportement d'un personnage.
Vous vivez en Californie, qui est l'un des Etats à ne pas avoir voté pour Trump. Vous en ressentez de la fierté ?
Absolument pas, car je suis beaucoup plus préoccupé par les Etats du centre, où les gens se sentent « abandonnés », et eux ont voté pour Trump. Il y a une Amérique blessée, choquée, que personne ne voulait écouter. Cette Amérique-là voulait tout secouer, et elle l'a fait en votant Trump. J'espère que nous l'avons entendue et que cela va nous pousser à nous réunir, à nous souvenir que nous sommes les Etats-Unis d'Amérique. Quelqu'un a dit : « Trump, c'est la chimio pour guérir le cancer qui nous ronge », que nous devons endurer pour soigner notre pays et ne jamais reproduire un vote aussi stupide.
Vous êtes désormais auteur de romans et de scripts pour des séries télé ou des films. Cela signifie deux types d'écriture très différents ?
Oui, ils n'ont pas grand-chose à voir. La télé, c'est visuel, on écrit en pensant en images. Les romans, tout tourne autour des mots. Une scène de l'un de mes romans se situe dans la salle de bal d'un hôtel de Boston en 1926. Ça m'a pris cinq jours et de nombreuses pages, car j'ai dû tout décrire en détail. Pour un script, cela aurait donné ceci : Intérieur/Salle de bal de l'hôtel/Nuit. Et voilà, c'était fini pour moi, l'auteur, à la production de se débrouiller avec les détails. Un auteur de script décrit des actions, des histoires, des dialogues. Le reste appartient aux autres : la télé et le cinéma, c'est un travail d'équipe. Un roman, vous êtes entièrement seul.
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