L'auteur de polars le plus lu dans le monde publie une nouvelle enquête de l'inspecteur Harry Bosch. Il raconte ici la genèse de son oeuvre. Entretien
François Forestier
Pas un pays où il ne soit publié : Michael Connelly est traduit en italien, en japonais, dans toutes les langues ouraliennes et, bien sûr, en français. Son nouveau polar, «Ceux qui tombent», fait revenir son héros Harry Bosch, inspecteur vieillissant au service des affaires non résolues.
Michael Connelly est devenu célèbre, d'un seul coup, quand le président Clinton fut photographié achetant «le Poète», en plein scandale Lewinsky. Depuis, inlassablement, Connelly publie au moins un livre par an: chaque fois, on tourne les pages avec délice.
Le Nouvel Observateur Combien de livres avez-vous vendus dans le monde?
Michael Connelly Quelque chose comme 50 millions, je crois. A 2 ou 3 millions près. Il y a des pays où on ne sait pas très bien. En France, Harry Bosch a été adopté très tôt, dès 1993, avec «les Egouts de Los Angeles».
Il y a quelques années, vous sembliez fatigué de votre héros, Hieronymus - dit Harry Bosch. Pourtant, il ne cesse de revenir.
En 2000, j'étais en train d'écrire «Wonderland Avenue», Bosch était en fin de carrière, et j'avais l'impression que j'en avais fini avec lui. J'ai alors écrit sur d'autres personnages, l'avocat Mickey Haller, puis les agents du FBI Rachel Walling et Terry McCaleb, mais Bosch insistait pour revenir. Je l'ai laissé faire. Je trouvais qu'un vieux cheval de retour face à la technologie moderne, c'était intéressant. Je crois qu'il est heureux d'être aux affaires non résolues. Il n'est pas prêt à prendre sa retraite.
Il sera présent dans vos prochains livres?
J'espère bien. Dans « Ceux qui tombent », il arrive à un certain âge voilà vingt-deux ans que nous sommes ensemble. Cette fois-ci, il enquête sur ce qui ressemble à un suicide et sur une affaire ancienne. Les deux histoires s'entremêlent comme une spirale d'ADN. Prochainement, je crois que je laisserai le champ libre à sa fille...
Vous vous identifiez à lui, parfois ?
Non, pas du tout. J'aimerais bien. J'admire son sens de l'équité et sa tenue morale. Je crois d'ailleurs que c'est ce que les lecteurs aiment en lui: il est combatif, et plus les difficultés sont grandes mieux il réagit.
C'est l'héritier de Philip Marlowe, le héros de Raymond Chandler?
Il a le même code moral. Je relis sans cesse les livres de Raymond Chandler, je les étudie depuis trente ans, et, oui, Bosch est issu de cette lignée. Il a ses défauts, mais, au fond, c'est ce chevalier des temps modernes qu'a décrit Chandler en 1944 dans «The Simple Art of Murder»: un homme qui est honorable, et qui est incorruptible. Ce qui est intéressant, c'est que Bosch a plusieurs aspects, et je peux toujours tremper ma plume dans son âme pour y trouver du nouveau.
Comment s'est déclarée votre vocation?
En 1976, j'avais 20 ans, j'étudiais pour devenir architecte, comme mon père et mon grand-père. Je fréquentais le ciné-club de la fac de Floride. Ca coûtait un dollar l'entrée. Un soir, j'y ai vu «le Privé», de Robert Altman. Je me suis renseigné: c'était adapté d'un livre de Chandler, «The Long Goodbye» [traduit en français sous le titre: «Sur un air de navaja», NDLR], et le personnage du film était très éloigné de celui du livre. C'est sans doute le film le moins chandlérien de toute la saga Marlowe, mais j'ai eu l'étincelle en lisant le livre. J'ai immédiatement séché tous mes cours, et je me suis plongé dans tous les livres de Chandler. Les dés étaient jetés. Je ne voulais plus bâtir des maisons. Je voulais raconter des histoires.
Votre mère, dit-on, était une grande lectrice de polars.
Oui, il y avait toujours des polars classiques à la maison. Agatha Christie, Ellery Queen, Rex Stout, mais ce n'était pas ma tasse de thé. Quant à mon père, je ne l'ai jamais vu un livre à la main. Mais il aimait les films noirs et m'emmenait avec lui.
Comment définiriez-vous le genre « noir »?
Je ne sais pas. J'écris des histoires, c'est tout. Disons que le «noir», c'est un univers où vous devez sans cesse regarder par-dessus votre épaule. Toutes les autres définitions, sur le destin, le fatum, la critique sociale, je les comprends, mais elles ne m'intéressent pas.
Comment écrivez-vous ? Avec un plan ?
Non. J'ai un collaborateur, qui surfe sur le Net pour chercher des histoires qui peuvent m'intéresser. Puis, quand je me mets au travail, je sais où je veux arriver. Mais, entre le point de départ et le point d'atterrissage, j'improvise. J'écris les livres que j'aimerais lire. Je suis mon premier lecteur.
Quel a été le tournant, pour vous ?
La publication du «Poète». C'était mon cinquième livre, et Bill Clinton m'a fait une publicité d'enfer. Le monde entier avait les yeux fixés sur lui, à cause de l'affaire Lewinsky. J'ai eu droit à toutes les chaînes de télé.
Vos débuts ont été difficiles ?
Pas faciles. J'étais journaliste, je faisais mes papiers le jour et j'écrivais mes livres la nuit. J'en ai écrit deux, dont personne n'a voulu, et qui sont restés dans mes tiroirs. Le troisième a fait apparaître Harry Bosch, et ma mère ma première critique - m'a dit: «C'est bien.» J'ai utilisé une affaire que j'avais suivie comme reporter - un braquage de banque sophistiqué. Après publication, les critiques ont dit: «C'est un braquage impossible. Trop compliqué.» Mais il avait eu lieu...
Vous tenez-vous au courant des publications actuelles, dans le domaine du polar?
Oui. J'admire Don Winslow et James Ellroy. Quand je débutais dans le métier, il venait de publier «le Dahlia noir», et on parlait beaucoup de lui. Je lui ai écrit à Kansas City, où il habitait alors, pour lui demander conseil. Pas de réponse pendant des mois. Puis, une nuit, à 3 heures du matin, le téléphone sonne. Et une voix me demande: «Z'êtes Michael Connelly? James Ellroy.» Il m'a simplement dit: «Je n'ai malheureusement pas le monopole des murder stories. Continuez, c'est bon, ce que vous faites.» Et il a raccroché.
Vous l'avez vu, après ?
Oh, oui ! Il m'a raconté l'histoire de sa mère assassinée, sa descente aux enfers, la drogue, tout ça. Et, je l'avoue, j'ai utilisé des bribes de ce passé pour construire mon personnage, Harry Bosch.
Harry Bosch, c'est... James Ellroy ?
Pas vraiment. Mais un peu, oui. Maintenant que vous le savez, vous lirez d'un autre oeil mon prochain livre, «The Burning Room».
Vous n'arrêtez jamais ?
Si. Pendant une ou deux semaines. Puis le personnage me tire par la manche...
Ceux qui tombent, par Michael Connelly,
traduit par Robert Pépin, Calmann-Lévy, 396 p., 21,50 euros.
traduit par Robert Pépin, Calmann-Lévy, 396 p., 21,50 euros.
MICHAEL CONNELLY, né en 1956, a été journaliste au "Los Angeles Times". Son premier livre, "les Egouts de Los Angeles" (1992), lui a valu le prix Edgar du premier roman. La plupart de ses livres - "le Dernier Coyote", "Wonderland Avenue", "le Verdict du plomb" - sont des best-sellers. "Créance de sang" et "la Défense Lincoln" ont été portés à l'écran.
Entretien publié dans "le Nouvel Observateur" du 24 avril 2014.
Crédit photo: Sipa
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