Bruno Icher
Au cinéma, à la télé,
à la radio, nombre d’acteurs durs à cuire se sont saisis du privé. Avec des
fortunes diverses.
«Philip Marlowe est
un raté qui le sait.» Chandler n’a pas simplifié le travail de ceux qui se sont
attaqués à la transposition de ses romans au cinéma. Ce qui n’a pas empêché
Hollywood, décennie après décennie, de chercher l’oiseau rare. Le premier à
s’atteler à la tâche est Edward Dmytryk en 1944, avec Adieu ma jolie. Dick
Powell, abonné aux comédies musicales et aux rôles de romantiques évaporés,
prend les traits de Marlowe, et sa performance mérite mieux que le relatif
oubli dans lequel la seconde apparition de Marlowe l’a précipité. Elle est
l’œuvre d’Howard Hawks, avec William Faulkner, Jules Furthman et Leigh Brackett
au scénario. L’histoire du Grand Sommeil est célèbre : quand Hawks et Brackett
demandent à Chandler d’éclairer leur lanterne sur l’identité d’un tueur,
l’écrivain répond qu’il n’en a pas la moindre idée. En revanche, il admet, dans
une lettre, avoir été très satisfait de la prestation de Boggie.
Chèques. Le colosse George
Montgomery prend la suite dans la Pièce maudite (The Brasher Dobloon) de John
Brahm en 1947, avant que son quasi-homonyme, Robert Montgomery, ne s’empare de
la Dame du lac pour un film expérimental. L’acteur, ici réalisateur, prend le
parti de la caméra subjective, le spectateur ne découvrant l’action que par les
yeux du personnage, et n’apercevant son visage qu’à la faveur de quelques plans
dans des miroirs ou des reflets de fenêtres.
Après la mort de
Chandler, en 1959, arrive le temps de l’adaptation libre. La télé s’empare du
personnage et installe Philip Carey, un tenancier du western de série B, dans
le rôle de Marlowe pour 26 épisodes, adaptant une pièce radiophonique sur NBC
que Chandler détestait, exception faite des chèques que cela lui procurait. Dix
ans plus tard, Paul Bogart met en scène Marlowe avec James Garner. L’acteur est
au sommet de sa forme virile et le scénario s’autorise des facéties, comme la
scène où Bruce Lee démolit le bureau du détective à coups de tatanes.
A propos de libre
interprétation, il sera dur de faire mieux que le Privé de Robert Altman, en
1973, avec Elliott Gould presque parfait en Marlowe victime expiatoire d’un
monde dont il subit les rebuffades. Cette chronique des années 70 est peut-être
l’une des plus fidèles à l’esprit de Chandler. Ne serait-ce que pour la scène
inaugurale, merveille de synthèse entre l’auteur et son personnage. Marlowe,
harcelé par son chat, part au milieu de la nuit lui chercher de la bouffe. Si
Marlowe n’a jamais possédé d’animal, Chandler et sa femme ont passé la moitié
de leur vie à cajoler un matou atrabilaire, Taki. Au passage, Sterling Hayden,
qui aurait fait un Marlowe de premier ordre au temps de sa splendeur, y compose
un délicieux second rôle.
C’est ensuite au tour
de Robert Mitchum de prendre le relais, à deux reprises. Une fois sous l’œil de
Dick Richards (Adieu ma jolie) en 1975, reconstitution carton-pâte du Los
Angeles des années 40, puis dans le Grand Sommeil de Michael Winner en 1978,
bourré de vedettes vieillissantes (Oliver Reed, Sarah Miles…), transposé à
Londres dans les années 70. Dans les deux cas, Mitchum, la soixantaine, est
trop âgé, et ses déambulations sonnent comme l’éternel regret de ne pas lui avoir
confié le rôle quand il enchaînait les films noirs pour la RKO, en début de
carrière. Le film est une des dernières apparitions de James Stewart, ce qui
fait dire à Mitchum : «Tout le film était une histoire de cadavres, mais Jimmy
avait l’air d’être le plus mort d’entre tous.»
Semi-retraite. Ensuite, une série
télé très années 80 sur HBO, Marlowe, Private Eye, avec le reptilien Powers
Boothe dans le rôle-titre, puis en 1998, toujours pour la télé, James Caan,
autre dur, qui reprend le flambeau dans Poodles Springs de Bob Rafelson,
adaptation du dernier roman inachevé de Chandler dans lequel Marlowe est en
semi-retraite et marié, et puis plus rien. A noter que, pour Chandler, l’acteur
qui semblait le plus proche de Marlowe était Cary Grant.
Pour Chandler, quel
était l’interprète préféré de Marlowe : Dick Powell, George Montgomery ? Non.
Humphrey Bogart.
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