Longtemps confiné à quelques titres épars, ce sous-genre du roman policier est devenu majeur avec Umberto Eco. Depuis, il possède ses collections, ses personnages stars et ses auteurs cultes.
Bernard Chappuis
Il n’existe pas de rentrée littéraire pour le polar historique. Son actualité s’exerce toute l’année, tout en étant dopée par quelques rendez-vous marquants. En 2015, le premier pointe le 5 mars avec la sortie, événementielle pour l’occasion, de la 30e enquête de Charlotte et de son mari, l’inspecteur Pitt, dans l’Angleterre victorienne. Et comme toujours depuis 1979, date de parution de L’étrangleur de Cater Street , ce titre de la série d’Anne Perry cible un lieu londonien: La disparue d’Angel Court. Heureuse coïncidence, la libraire Stéphanie Berg, de Payot, cite en premier le nom de la Britannique en termes de popularité. Et confirme que le profil du lecteur de polars historiques est particulier. «Il sait où trouver ce qu’il vient chercher. Comme il s’agit généralement de séries, il est souvent dans l’attente du prochain roman. En fait, il y a peu de demandes de découvertes.»
L’intérêt pour le genre est relativement récent, même si son origine s’avère lointaine dans le temps et la géographie (Trois affaires criminelles résolues par le juge Ti, anonyme, Chine, XVIIIe siècle). En Suisse romande, les premiers frémissements démarrent avec la collection Grands Détectives qui, dès 1983, met en lumière Robert van Gulik (le juge Ti), Ellis Peters (Frère Cadfael), Viviane Moore (Tancrède le Normand), Paul C. Doherty (Sir Hugh Corbett).
Si cette diversité séduit, elle n’aurait pas suffi à imposer un nouveau courant sans plusieurs auteurs phares qui vont éclater le format du livre de poche, générer l’engouement. Avec Le nom de la rose, 1982, celui d’Umberto Eco s’inscrit en lettres flamboyantes. Patrick Süskind, avec l’inclassableLe parfum - Histoire d’un meurtrier (1986), a sans doute aussi favorisé ce goût du dépaysement. Encensés dans les pays anglo-saxons, Caleb Carr (L’aliéniste, 1994) et Iain Pears (Le cercle de la croix, 1997) vont accélérer la reconnaissance critique. Si le polar historique est «un récit qui est situé à une époque antérieure d’au moins cinquante ans par rapport à son écriture», selon la définition la plus commune, le passé devient à la mode bien au-delà de ce cadre strict. Citons les récits contemporains qui développent un mystère avec des éléments partiellement fixés dans l’histoire, à l’exemple du Tableau du maître flamand (1990), d’Arturo Pérez-Reverte. Ou encore, à la marge, les polars complotistes et ésotériques dont Dan Brown s’est fait le champion (Da Vinci Code, 81 millions d’exemplaires).
Dans Le roman policier historique de Sarrot et Broche (Ed. Nouveau Monde), la romancière Ingrid J. Parker, spécialiste de la culture japonaise et auteure de la sérieSugawara Akitada, résume au mieux l’essence du genre: «Nous ne cherchons pas à enseigner l’histoire. Le premier objectif de la fiction est de distraire. Il peut exister un second objectif: éclairer (…) Cela ne concerne pas les faits historiques (bien qu’il faille les connaître), mais davantage la culture, les mentalités, les manies humaines dans une autre société à une autre époque.» Cette approche est particulièrement appréciée par un lectorat féminin majoritaire (81% sont des lectrices, selon le sondage 2014 de Babelio sur le polar).
Si les XVIIIe et XIXe siècles sont prisés par les auteurs, chaque époque possède désormais son enquêteur. De quoi remonter jusqu’à 1483 av. J.-C., dans l’Egypte de la reine-pharaon Hatchepsout reconstituée par Lauren Haney. La plupart du temps, le détective du passé se dissimule derrière son activité professionnelle ou spirituelle (moines, nonnes, avocats, philosophes, médecins, fonctionnaires, apothicaires, libraires, etc.).
Sans compter les personnages historiques qui s’improvisent détective, d’Aristote à Groucho Marx en passant par Léonard de Vinci, Machiavel, William Crookes, le Dr Joseph Bell, Freud, Houdini, Einstein. Ou encore des écrivains et dramaturges qui deviennent à leur tour des personnages de fiction: Dante Alighieri, Oscar Wilde, Arthur Conan Doyle, Edgar Allan Poe, Jane Austen, Voltaire, Jean de La Fontaine.
De quoi autoriser un double voyage dans une époque et dans la littérature. Notamment avec Gyles Brandreth qui, dans sa saga jubilatoire articulée autour d’Oscar Wilde, associe sens narratif, érudition et humour. Umberto Eco a expliqué que «pour raconter, il faut avant tout se construire un monde». Le polar historique a de beaux jours devant lui. (24 heures)
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