Alain Léauthier
Longtemps resté marginal en Afrique, le polar y a aujourd'hui ses maîtres passionnants. Au-delà de la seule dénonciation de pouvoirs corrompus, ils narrent des sociétés aux prises avec les convulsions qui agitent le continent noir. Mais l'afropolar a encore un avenir à s'inventer...
L'inspecteur Kurt Wallander et son incurable mélancolie comme celle qu'engendrent les côtes froides de la Scanie nous ont quittés, son créateur, Henning Mankell, s'en est lassé. Depuis plusieurs années, il passe une partie de son temps sous le soleil d'Antibes et surtout du Mozambique, à Maputo, où il anime une troupe de théâtre. Au-delà du choix de vie, voilà un partage de domicile des plus symboliques : pour le polar, dont l'écrivain suédois fut cette dernière décennie une des valeurs sûres et hautement bancables, l'Afrique aussi est le continent émergent. Rien de comparable encore avec la « vague nordique » qui a offert quelques bijoux (et récemment beaucoup de déchets...), mais déjà plus une terra incognita.
Au mois d'avril, Métailié, éditeur d'un autre grand neurasthénique scandinave, Arnaldur Indridason, publiait ainsi Meurtre à Tombouctou, très bon livre posthume de l'écrivain malien Moussa Konaté, prématurément disparu à 62 ans en novembre dernier, à Limoges. En cette fin d'automne 2013, Jigal, maison d'édition sise à Marseille, proposait à ses lecteurs African Tabloïd, premier volet d'une trilogie politico-policière du romancier gabonais Janis Otsiemi, 38 ans, dont le titre et l'ambition (conter l'histoire sombre de son pays entre 2008 et 2016) sont ouvertement inspirés de l'American Tabloid d'Ellroy.
S'il a fallu du temps à Konaté pour jouir d'un début de notoriété, laquelle au demeurant l'embarrassait plus qu'autre chose, en trois polars foutraques et nerveux son cadet est devenu la coqueluche des salons (celui du livre récemment) et la vitrine d'un genre longtemps resté marginal en Afrique. Les lecteurs n'y sont pas encore légion, mais il suscite pourtant déjà commentaires et études savantes, et même, malgré son jeune âge, son historiographie.
Celle de l'universitaire belge Lylian Kesteloot, spécialiste des littératures négro-africaines francophones, fait autorité et en date l'apparition significative dans les années 70. D'autres retiennent plutôt la publication en 1996, dans la « Série Noire », d'Agence Black Bafoussa, du Congolais Achille Ngoye, premier écrivain africain intronisé dans cette collection de Gallimard, autrefois considérée comme le mètre étalon du polar dans l'Hexagone. Né en 1944 dans ce qui était encore le Congo belge (désormais la République démocratique du Congo, RDC), Achille Ngoye fut d'abord journaliste, notamment en France, où il s'était expatrié dans les années 80, travaillant pour Actuel, Libération ou RFI, collaborant aussi au scénario de Black micmac sorti en 1985, une des toutes premières comédies surfant avec succès sur la mise en scène ironique et bienveillante des communautés étrangères organisées comme telles à Paris.
Située dans les milieux africains de la capitale, l'intrigue de son Agence Black Bafoussa part du meurtre d'un certain Danga, tout à la fois combinard expert en système D mais aussi opposant notoire à la dictature de Pupu Muntu, le dictateur du Kalina, doublure à peine maquillée du tyran Mobutu Sese Seko. Tout en respectant grosso modo les codes du genre, Achille Ngoye y mettait en œuvre quelques-uns des ingrédients, thématiques et stylistiques, dont de nombreux polars africains se nourrissent depuis en abondance.
Limites à ne pas franchir
D'abord, quasi consubstantiel, un message de dénonciation, sociale et politique, plus ou moins voilé tant, comme le souligne aujourd'hui Janis Otsiemi, « la forte susceptibilité des pouvoirs en Afrique oblige à prendre des précautions ». A Libreville, où il vit, le jeune romancier gabonais travaille pour une entreprise appartenant à une famille proche du pouvoir. Le régime de feu Omar Bongo embastillait, et achetait, plus qu'il ne massacrait. Celui du fils, Ali, élu en 2009 à l'issue d'un scrutin contesté, se prétend plus ouvert, mais Otsiemi sait quelles limites ne pas franchir. « Jusqu'à présent, je n'ai pas eu à souffrir de menaces frontales, ce sont plutôt des conseils de prudence émanant de connaissances, de relations ou de parents. On m'explique que je ne suis pas en France, que tout n'est pas possible. »
A défaut de tout dire, le polar, lui a néanmoins permis de beaucoup montrer : les us et coutumes de la petite pègre de Libreville et, partant, la face cachée et misérable d'une métropole souvent réduite au luxe trompeur de son bord de mer, la prévarication généralisée dans un pays devenu une sorte de condominium de la Françafrique, mis en coupe réglée par quelques clans familiaux et une franc-maçonnerie dévoyée. « En réalité, je suis venu au polar par effraction », assure Otsiemi. Par souci d'efficacité en fait, afin de toucher ceux auxquels sont destinés en priorité ses brûlots, originaires comme lui des nombreux bidonvilles, les mapane, où s'entasse près de 80 % de la population de la capitale. Le sien s'appelle Les Etats-Unis d'Akébé, d'autres Rio, Venez-voir ou Derrière la prison, annexes à peine adoucies de l'enfer alors que statistiquement au Gabon le revenu par habitant est un des plus élevés du continent noir. La lecture n'y est pas le passe-temps favori, encore moins celle des essais politiques ou sociologiques, forme d'expression à laquelle Otsiemi n'a pas renoncé, mais dont il a vite mesuré les limites. Déjà en son temps, interviewé par la revue l'Ours polar, Achille Ngoye se félicitait de pouvoir accéder, « grâce à un genre plus ou moins léger, à un public assez large et de passer des messages sans pour autant mettre des gants comme dans le roman classique ».
Contemporain du Congolais, l'écrivain sénégalais Abasse Ndione, un des pères de l'afropolar, eut l'occasion de vérifier la portée subversive dudit message à la sortie de son premier roman, la Vie en spirale, écrit dans les années 70, publié en deux tomes une dizaine d'années plus tard aux Nouvelles Editions africaines, avant d'être finalement accueilli lui aussi en « Série Noire », en 1998. Infirmier jusqu'à sa retraite et père de famille nombreuse, il y aborde le sujet encore tabou à l'époque de la consommation massive du yamba, le cannabis, dans toutes les couches de la société sénégalaise, des petits voyous de Guinaw Rails, à l'est de Dakar, aux officiers de l'armée, fonctionnaires de police ou de gendarmerie. C'est peu dire que le livre fit scandale et entraîna même la suspension d'une émission de télévision dont Abasse Ndione était l'invité. Les successeurs francophones ou anglophones du Sénégalais n'ont, depuis, jamais dérogé à cette règle de didactisme qu'analysait dans un ouvrage sobrement intitulé Polar le critique Fernandez-Recatala, mort en 2013 : « Montrer la réalité du quotidien africain, [...] partager les connaissances de l'Afrique, les savoirs sociaux et politiques qui servent de "révélateurs objectifs" aux vices d'une société sclérosée. »
Nécessaire ethnopolar
Loin de se limiter à la seule critique de pouvoirs corrompus, ces auteurs portent aussi le fer et la plume dans les profondeurs de leurs sociétés respectives, s'attaquant, comme le souligne, à propos d'un roman de Moussa Konaté (l'Honneur des Keita), la chercheuse Karen Ferreira-Meyers*, de l'université du Swaziland, à « la hiérarchisation traditionnelle des rapports sociaux, l'influence des castes et des rapports familiaux et la toute-puissance d'un rapport magique au monde ». Autant d'obstacles apparents au travail « rationnel » des enquêteurs lancés dans le livre sur la piste du ou des assassins d'un marabout. Il s'agit en l'occurrence du commissaire Habib (et de son adjoint Sosso), personnage récurrent de Konaté qui lui permit d'explorer divers aspects des croyances et traditions populaires de la société malienne, des Dogons dansl'Empreinte du renard aux pêcheurs bozos du fleuve Niger dans la Malédiction du lamantin. Ceux qui ont fait de cette littérature un objet d'étude ont trouvé un terme pour qualifier le travail du Malien : « ethnopolar ».
Ses pairs, peu ou prou, s'inscrivent dans cette veine. Tous, d'une manière ou d'une autre, expriment, selon Françoise Naudillon, auteur du Polar africain, « le souci de remonter à l'archéologie du savoir, à la source des événements qui ont mené au présent, avec la mise en valeur du fonctionnement intime du pouvoir ». En somme un travail de dévoilement, là où certaines élites intellectuelles africaines ne voyaient qu'un vulgaire divertissement « petit-bourgeois », ainsi que le souligne Karen Ferreira-Meyers. Pis : un produit d'importation issu de la terre des anciens colonisateurs.
A Libreville, Janis Otsiemi pense tout le contraire : « Le polar tel que l'écrivent les auteurs du continent n'est pas un vulgaire succédané du genre tel qu'il existe en Occident. Ici, sans une dimension sociale, il n'a tout simplement pas de sens. On n'y croise pas beaucoup de médecins légistes ou de superenquêteurs, ni la police scientifique dernier cri, mais, en revanche, la fonction de réappropriation de notre histoire y est essentielle. » Elle fait par exemple tout l'intérêt du deuxième roman d'Achille Ngoye, Sorcellerie à bout portant, également publié en « Série Noire », dans lequel le romancier congolais racontait le retour au pays d'un compatriote, expatrié comme lui à Paris, Kizito, venu enterrer son frère victime d'un étrange accident de voiture. Au menu : gris-gris, séances de maraboutage et exorcisme. Avec un fort parfum d'exotisme probablement pour les fidèles de la « Série Noire » en France.
Éditeurs frileux
Mais pour les lecteurs africains un regard sur soi-même dont Françoise Naudillon considère qu'il constitue aussi « une réponse aux discours scientifiques (ethnologie, anthropologie) tenus sur les sociétés africaines en période coloniale et postcoloniale ». Meurtre à Tombouctou de Moussa Konaté met également en perspective le choc entre la tradition et la modernité incarnée, avec beaucoup d'hésitation, par le commissaire Habib, chargé d'élucider le meurtre d'un jeune rejeton d'un clan touareg dans le nord du pays. Ecrit pendant la crise malienne mais située chronologiquement avant, il en éclaire bien des clés : le terrorisme islamiste, l'ethnicisation à outrance, au cœur du conflit entre les populations dominantes et les Touaregs, et plus généralement la peur de l'autre. Métailié publiera bientôt l'ultime manuscrit que lui avait remis le romancier.
La relève existe, mais, en l'absence pour l'heure d'une industrie culturelle africaine digne de ce nom, les auteurs restent encore dépendants des éditeurs européens, et notamment français. Plutôt frileux ces derniers temps. Sous l'impulsion de son nouveau directeur, la «Série Noire» s'est recentrée sur le polar hexagonal et nord-américain. Dans les festivals, tel Quais du polar à Lyon, le continent noir est le plus souvent représenté par les romanciers sud-africains blancs, à l'image de Deon Meyer, Mike Nicol ou Roger Smith. Tous excellents écrivains au demeurant. « J'écoute parler les gens qui vivent au ras du sol pour voir comment leur langage s'articule », expliquait au dernier Salon du livre de Paris le Béninois Florent Couao Zotti publié, comme Otsiemi, chez Jigal. Voilà au moins un programme avec de la hauteur.
* Auteur du Polar africain, in Afrique contemporaine, n° 241, De Boeck supérieur.
>>> A SAVOIR
A Libreville, les livres d'Otsiemi se vendent autour de 21 000 F CFA, soit un peu plus de 32 €, le double du prix public en France. Les romans de gare sont accessibles autour des 5 000 F CFA, à peu près 8 €.
>>> COUP D'ESSAI, COUP DE MAÎTRE
Le roman s'intitule Notre quelque part. Pas loin d'Accra, la capitale ghanéenne, la maîtresse d'un ministre découvre dans la case d'un village de probables restes humains. Diligenté par une police gouvernementale corrompue jusqu'à l'os, Kayo Odamtten, jeune médecin légiste citadin, va mener l'enquête. Pour son premier roman, le Ghanéen Nii Ayikwei Parkes fait mouche, brossant des personnages truculents, tissant une enquête tourbillonnante, entre deux mondes, la brousse et la ville, à la frontière d'une société fracturée. Mais ce qui fait la force et l'originalité de cette confrontation tient dans l'alternance de deux langues dont l'auteur fait usage tout au long du récit. Une narration classique des faits, dans un français soutenu, côtoie le point de vue, à la première personne, de Yao Poku. Ce vieux chasseur du village, protagoniste de l'histoire, s'exprime dans une langue chatoyante, mêlant celle du colon à son dialecte natal. On doit à Sika Fakambi, qui a traduit ce texte anglais en français, l'art d'avoir su transposer ce parler recomposé loin du caricatural petit-nègre. Restituant des expressions, une syntaxe et un vocabulaire inédit, elle en préserve sa saveur et son imaginaire, et fait la richesse de ce roman.
Frédérique Briard
Notre quelque part, de Nii Ayikwei Parkes, Zulma, 304 p., 21 €.
>>> A LIRE
Meurtre à Tombouctou, de Moussa Konaté, Métailié, 16 €. Du même auteur : la Malédiction du Lamantin, Fayard noir, 18 €.
African Tabloid, de Janis Otsiemi, Jigal polar, 16,80 €. Trois autres polars d'Otsiemi sont disponibles chez Jigal en collection poche.
Agence Black Bafoussa, d'Achille Ngoye, Gallimard, « Série noire », 7,80 €.
La Traque de la musaraigne, de Florent Couao-Zotti, Jigal Polar, 17 €.
Ramata, d'Abasse Ndione, Folio policier, 8,40 €.
Trop de soleil tue l'amour, de Mongo Beti, Julliard, 19,50 €.
La Guerre des anges, de José Eduardo Agualusa, Métailié, 20,50 €.
Bonjour a tout le monde
ResponEliminaJe réalise tous types de travaux occultes (Amour, santé, travail, relationnel, finances, justice, attraction de la clientèle, désenvoutement, protection des lieux, Protection et harmonisation des lieux, du couple, des personnes, retour d'affection, protection occulte et physique...) Et talismans selon le but recherché.
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