Sylvain Bonnet
Ellroy est vivant
On ne présente plus James Ellroy, auteur primé et écrivain au style inimitable (redoutable challenge pour chacun de ses traducteurs, Freddy Michalski hier et Jean-Paul Gratias aujourd’hui) à qui on doit Lune Sanglante, Le Grand nulle partet American Tabloid, entre autres. Pilier des éditions Rivages, on annonce ces jours-ci son retour aux Etats-Unis avec un nouveau roman, Perfidia, qui paraîtra aux Etats-Unis à la rentrée. Craignant le manque chez ses fidèles lecteurs, Rivages publie Extorsion, ouvrage qui a priori ne connait pas d’équivalent en anglais puisque rassemblant une nouvelle et deux chapitres de Perfidia. Certains salueront l’initiative, d’autres y verront une vile manipulation éditoriale. Reste que le moindre balbutiement d’Ellroy suscite l’intérêt de l’amateur (et de bien d’autres).
Ellroy n’est pas parfait
Extorsion est une longue novella rassemblant les confessions de Freddy Otash. Otash était un ex flic devenu un spécialiste du chantage dans le milieu des stars hollywoodiennes. Lorsque le récit commence, Otash est mort et son âme reléguée au purgatoire. Curieusement relié au cerveau de ce « plumitif » d’Ellroy, il se remémore sa vie. On a droit à tout : ses aventures de cul (avec Liz Taylor, le critique est pantois), ses manips avec son indic préféré (James Dean !), les services rendus à Liberace… dans cette novella pleine de verve, Ellroy décrit la vie d’Otash dans le marigot hollywoodien sans aucune complaisance. Pourtant, on reste sur sa faim. Attention ! le récit est très agréable à lire mais Ellroy n’est pas n’importe qui. Il est le plus grand auteur de romans noirs américains (Lehane prétend à la couronne) et de lui, on attend tout. Extorsion séduit, amuse, réjouit, distrait mais n’est pas décisif. Le meilleur reste cependant à venir…
Ellroy est un maître
« Dudley travaille pour la Columbia, à temps partiel. Il tenait pour Harry Cohn le rôle du garant de la moralité. Les stars de cinéma sont intrinsèquement indisciplinées. Les fürhers des studios les contrôlent en leur prescrivant des codes de conduite contraignants. Ces codes imposent des règles de vie puritaines. Violer ces règles constitue une rupture de contrat. Dudley a épinglé des stars de cinéma homosexuelles et des stars de cinéma infidèles. Il a épinglé une foule d’alcooliques et de drogués. Il a des légions de grooms, de voituriers et de prostituées qu’il soudoie pour récolter des indiscrétions. Il constitue peu à peu l’album de référence des dessous de Hollywood. »
Ellroy ramène Dudley Smith, le protagoniste du quatuor de Los Angeles (et de Clandestin) pour une histoire se déroulant avant Pearl Harbor, avec comme prétexte le suicide d’une famille japonaise. Irlandais arraché à sa terre natale, client des Kennedy, Dudley Smith nous séduit à nouveau à travers ces extraits d’un roman plein de promesses. On peut se tromper mais les deux chapitres sont un exemple de ce que Manchette appelait la « puissance balistique d’arrêt » d’Ellroy…
Mais comment donc tenir jusqu’en 2015 (date de la parution en français de Perfidia)? Lisez Extorsion !
James Ellroy, Extorsion, traduit de l’anglais par Jean-Paul Gratias, Rivages, Mars 2014, 192 pages, 13,50 €
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