14 d’octubre del 2013

James Ellroy, c’est le plus grand (1re partie)

[Algérie News, 13 octobre 2013]

A bâtons rompus avec Claude Mesplède

L’auteur  du «Dictionnaire des littératures policières» (Editions Joseph K.), surnommé l’historien, nous livre ses impressions sur le dernier Festival international de ce genre litteraire, qui s’est tenu à Toulouse. Il revient également sur son œuvre par laquelle il s’est adjugée le Trophée 813 de la meilleure étude policière de l’année.
 Entretien réalisé par Abdelmadjid Kaouah
Algérie News : Pourriez-vous nous livrer vos impressions sur le dernier Festival international des littératures policières de Toulouse ?
Claude Mesplède : Un pas a été franchi du côté  de la quantité et de la qualité. De la qualité, parce que nous avons eu sept débats, sept rencontres où la foule était au rendez-vous. Ordinairement, il n’y avait que deux ou trois débats qui marchaient. Là, c’était très chargé et les gens étaient attentifs. Deuxième élément, en liaison avec d’autres associations, on est sorti de notre « ghetto », ce qui n’est pas le cas, pour travailler avec d’autres.
C’est toujours enrichissant de partager avec d’autres personnes qui sont dans des associations. Cela renforce chacune d’entre elles et permet d’aller plus loin. C’est ce qui s’est fait avec la « Novela » où nous avons donné le nom de 12 auteurs de polars qui ont écrit une nouvelle en binôme avec un scientifique. Ce qui a permis aux scientifiques de découvrir le milieu des auteurs et aux auteurs de découvrir celui des scientifiques. Ils se sont aperçus que c’était fort sympathique des deux côtés. On a édité un livre avec la « Novela ». Il y a eu des débats en dehors de notre site (La Librairie La Renaissance qui accueille le Festival), au Jardin des Plantes. Avec une assistance de quatre-vingt à quatre-vingt-dix personnes à chaque fois. On a vendu des livres et on a fait une émission avec « Des Papous dans la tête » (France Culture), qui est venue au Muséum de Toulouse. Nous avons eu la chance et la joie d’accueillir pendant deux heures France Bleu Toulouse sur notre site. C’était un événement considérable, une reconnaissance de notre activité. Cela fait quand même 4 ans que nous sommes sur la brèche. Il est bien qu’à chaque édition, on monte une étape qualitative. Je pourrais ajouter que l’ambiance est toujours fort conviviale, ça étonne toujours nos invités qui remarquent que c’est unique cette ambiance dans tous les salons où ils sont allés… Parce qu’on est content de faire ce que l’on fait.

Avez-vous aussi des bénévoles qui participent à l’organisation du festival ?
Absolument. Souvent, on dit que c’est moi, c’est Ida (l’épouse de M. C. Mesplède),… C’est vrai que nous sommes à l’origine (du Festival). Mais comme je le répète souvent sans les bénévoles, sans les animateurs, sans les libraires, on ne serait rien. Donc, pour moi, chacun compte. Et ce succès, il faut l’attribuer à tous ceux qui se sont dépensés depuis des mois et surtout durant le salon, qui ont été à la moindre prévenance des invités. C’était formidable.

Durant le festival, il y avait de nombreux auteurs, venus de différents pays. Quel est l’auteur qui a été à l’honneur de cette édition ?
L’auteur à l’honneur cette année, c’était Roger Jon Ellory, un Anglais, un ami depuis des années. Généralement, j’ai la chance et le bonheur de connaître personnellement les auteurs français et la plupart des auteurs étrangers. Je choisis donc par sympathie d’inviter ceux qui sont talentueux mais aussi des hommes et des femmes sympathiques. Parce qu’un auteur talentueux mais qui se comporte mal, cela ne m’intéresse pas. Roger Jon Ellory a été parfait. Il a été à la moindre prévenance de son public. Il a été un professionnel comme on dit. Il a répondu à la moindre question avec le sourire sans se lasser.

Que pouvez-vous dire de cet auteur, de son œuvre ?
C’est un Anglais. Il s’est d’ailleurs, excusé d’être un Anglais parce qu’il a le sens de l’humour. C’est un auteur qui écrit beaucoup sur les Etats-Unis, la corruption, la maffia… Il est fasciné par cette période, comme moi d’ailleurs. A ses débuts, il avait 22 manuscrits et il a été refusé, je crois, par 499 éditeurs. Et le cinqcentième l’accepta. Et ça a été le succès !

Il y a comme une petite résonnance avec cet auteur américain, James Ellroy…
Oui, au niveau du nom, c’est une anagramme. Mais il n’a pas trop de rapport avec lui, je pense. Ellroy, c’est un cas à part, Ellroy c’est le plus grand. Et surtout, au-delà de ses comportements, un peu bizarres parfois, que le public a du mal à supporter, c’est un grand écrivain.

Venons-en à votre dictionnaire : que peut-on en dire ? Comment a-t-il été reçu ?
On peut dire qu’il est unique au monde parce que la plupart du temps, il y a des dictionnaires en Angleterre,  j’en ai derrière moi, mais ils ne parlent que des Anglais. Et les dictionnaires américains ne parlent que des Américains, à trois  exceptions près : Simenon, Boileau-Narcejac et Sjöwall et Wahlöö qui sont des Suédois ! Moi, je suis plus large que ça, en plus en France, on a eu la chance d’avoir des traductions d’un peu partout. Et il me semble qu’on ne peut pas se limiter ni aux Français, ni aux Américains, ni aux Anglais qui étaient les plus en avance à l’époque, au début, et encore aujourd’hui, mais il faut parler de tous les pays, il y a même l’Albanie, l’Afghanistan (c’est un titre seulement mais qui n’est même pas traduit en français). J’ai pris des collaborateurs, 70 pour la première édition qui est sortie en 2003 et j’ai dû en prendre une vingtaine supplémentaire pour la seconde édition de 2007. Mais le choix que j’ai fait, est, comment dirais-je, un peu fripon, parce qu’il y a des auteurs dont j’aurais pu faire les fiches  et j’ai demandé à des copains de les faire parce que ça me permettait de leur offrir un livre gratuit, qu’on m’a d’ailleurs retiré de mes propres revenus… Parce que d’abord c’était bien de les avoir sur la liste parce que je voulais montrer que le polar, c’était une grande famille, ensuite pour certains pas très connus ça leur permettait d’avancer, le fait qu’ils avaient travaillé pour ce livre («Le Dictionnaire  des littératures policières») pour d’autres collaborations. Et enfin, il y en a quelques-uns qui ont été choisis  parce que je n’étais pas le meilleur pour parler du sujet. Par exemple, Sherlock Holmes. Il y a une association Sherlock Holmes qui m’avait d’ailleurs, décoré (C. Mesplède nous indique du doigt la photo de la cérémonie derrière lui). Mais je savais que c’étaient des pinailleurs de service. Si j’avais fait la moindre erreur dans l’article, j’en aurais eu droit… Alors, je leur ai demandé de le faire. Comme ça, j’étais sûr de ne pas être emmerdé. Par exemple, Dostoïevski, c’est une amie qui m’est très cher qui s’appelle Claude Amoz qui m’a fait un article magnifique. François Guerif m’a fait plusieurs articles sur Faulkner que moi j’ai du mal à lire. Lui, il le connaît par cœur. Il a fait aussi des articles sur les cinémas français, américains. C’est lui, vraiment, le grand spécialiste. Il y a trois catégories : les amis qui font des fiches pour que je leur donne un dictionnaire surtout ; les spécialistes qui font des articles où moi je ne veux pas me risquer parce que si tu fais une erreur, tu en as plein la musette de ces mecs-là. Et les troisièmes, mes grands amis qui sont des spécialistes des sujets que je connais moins bien. Cela fait 70 et plus tard 90 (collaborateurs au Dictionnaire). Alors ma joie c’est d’avoir fait travailler des profs d’université, d’avoir corrigé leurs textes. Ce n’est pas parce qu’ils sont des profs d’université qu’ils savent faire des fiches… C’est une pratique qui demande de l’expérience généralement. Enfin, il y en a qui réussissent tout de suite, ceux qui sont moyens, ils mettent du temps avant de comprendre comment on fait des fiches.

Une dernière question à propos de votre dictionnaire, l’appellation que vous avez retenue c’est : littératures (au pluriel) policières. Alors la notion de polar, de noir… est-elle trop restrictive, ou est-elle sous-entendue dans cette appellation ?
Absolument ! C’est moi qui ai choisi les (littératures)  au pluriel. Parce qu’il y a  plusieurs catégories de romans qui sont compris dans ce qu’on appelle le polar. Au passage, viendrait du mot « Polis », du grec qui veut dire la cité. Parce qu’on nous demande tout le temps d’où ça vient. On a cherché des années et des années. Des élucubrations fantaisistes  ont été faites, depuis  le nom du membre viril jusqu’au type qui lisait sous son polochon avec une lampe électrique pour se cacher. C’est faux, tout ça. Alors, il y a le roman policier d’énigme, le roman historique policier, le thriller : thriller médical, thriller sportif, financier, le thriller de tribunal, scientifique. Il y a même le techno-thriller avec Tom Drancy  (décédé récemment) qui sont des histoires avec des  avions,  des armes sophistiqués… II y a le roman noir, le roman ethnologique. Il y a tout un tas de sous-genres, le roman psychologique. Donc c’est pour que ça s’appelle littératures au pluriel parce qu’il y a différents genres et parce qu’il y a différents lectorats. Il y a un type qui lit de l’énigme mais il ne va jamais vouloir du noir. Et inversement. Par contre, il y a un qui va lire l’énigme et le noir.

Dans cette histoire que devient Boileau-Narcejac (en fait,  ils sont deux) ?
Boileau et Narcejac, on les édite toujours, pas tous leurs livres parce qu’ils sont maintenant vieillots, d’avant-guerre. Mais par exemple, « Les Diaboliques », c’est un chef-d’œuvre. Ils ont eu leur heure de gloire puisqu’ils ont même eu un titre qui a été adapté par Hitchcock. Au  départ, ce n’était pas « Sueurs froides », c’est le film qui s’appelait ainsi en français. Le  livre s’appelait, je crois « Maléfice ». ça a donné le nom d’une collection chez Denoël où ils étaient publiés.

Ils illustrent quand même la tradition du polar français ?
Ils l’illustrent dans le domaine du suspense.

Est-ce qu’ils ont des héritiers aujourd’hui ?
Les héritiers, à mon avis, ce sont plus ceux qui font du thriller parce que le thriller et le suspense c’est quand même une liaison évidente. Celui qui a relancé le genre, c’est Jean-Christophe Granger  avec «  Les Rivières pourpres » même si ce n’est pas son premier livre, son premier c’est « Le Vol des cigognes » (Albin Michel, 1994) que j’avais lu en manuscrit quand j’étais lecteur pour Images mais qui était un trop, trop gros volume pour qu’ils le prennent. Mais c’est l’un de ses meilleurs livres. Boileau-Narcejac, c’est plutôt un suspense psychologique, et ça rapprocherait davantage les romans féminins, de Mary Higgins…


Qui sont consommés en quantité industrielle, n’est-ce pas ?
Effectivement. Mais là aussi, il y a à boire et à manger. Je veux dire que le genre lui-même n’est pas négatif. Ce sont ceux qui écrivent dedans qui peuvent être bons ou mauvais.


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