14 de novembre del 2017

Lawrence Block a inventé le Bogart des tueurs à gages


Yann Plougastel


Depuis la disparition, en 2008, de Donald Westlake, Lawrence Bock, né en 1938, est le dernier grand du roman noir américain encore en exercice. Auteur d’environ soixante-dix romans, il est surtout connu pour sa série autour du détective Matt Scudder, un ancien policier alcoolique et désenchanté, qui, dans la lignée de l’inspecteur Steve Carella d’Ed Mc Bain, enquête sur les bas-fonds de New York. De ce point de vue, son livre « 8 millions de façons de mourir », publié en 1985 en France, est sans doute un des meilleurs romans jamais écrits autour de Big Apple, où habite Lawrence Block depuis sa naissance. Plus sarcastiques et dotées d’un humour au vitriol, les aventures de Bernie Rhodenbarr, libraire le jour, cambrioleur la nuit, sont des facéties joyeuses, où l’écrivain se lance dans des virevoltes acrobatiques autour de la malchance de son héros. Lire « Le tueur du dessus », paru chez nous en 1978, demeure ainsi un régal…

À peu près aussi atrabilaire et réac que James Ellroy, mais maniant un second degré totalement absent chez l’écrivain californien, Lawrence Block n’est pas du genre à se pencher sur la bonté intérieure de ses personnages. Il joue sur le décalage, l’absurde et la distanciation pour raconter des histoires, qui peuvent tout aussi bien faire sourire que flanquer de beaux frissons. Il pratique l’amoralité comme d’autres font de la prose sans le savoir. En 1998, il a ainsi mis en route une nouvelle série autour de John Keller, un new-yorkais, bien sûr, tueur à gages sans état d’âme et philatéliste pointu à ses heures perdues. Quatre romans ont déjà vu le jour (« L’amour du métier », 1998, « Le pouce de l’assassin », 2000, « Le blues du tueur à gages », 2006, « Keller en cavale », 2008), qui sont conçus, à chaque fois, comme des collections de nouvelles, où notre héros tente de concilier contrat pour éliminer un « client » et achat de timbres rares, en se promenant un peu partout aux Etats-Unis. Heureux dans son mariage, époux fidèle et père attentif d’une petite fille, Keller est un homme tout aussi rangé que méthodique, dépourvu de tout affect envers ses victimes, cherchant juste à tuer le mieux et le plus vite possible, en bon professionnel. « Tue-moi », cinquième volet de la série, publié en 2013 aux Etats-Unis, vient d’être traduit en France. Il ne déroge pas à l’atmosphère des quatre autres titres.

On avait quitté Keller quelque peu désabusé après l’assassinat raté d’un sénateur new-yorkais, contraint du coup de quitter la ville et décidé à raccrocher son pistolet au vestiaire pour s’occuper de sa petite famille. Nous le retrouvons à la Nouvelle-Orléans, où sous le nom de Nicholas Edwards, il dirige une petite boîte qui retape et revend les maisons ravagées par l’ouragan Katrina. Hélas, subprimes obligent, sa petite entreprise connaît la crise. Il doit se résigner à redevenir John Keller et accepter de nouveaux contrats proposés par son ancienne associée Dorothea, qui, de son côté, s’ennuie ferme dans sa nouvelle vie de bourge de province. Keller ne met qu’une seule condition à son retour à son ancienne activité : une vente aux enchères de timbres rares doit se tenir dans la ville où le meurtre est programmé… En voiture Simone, donc. Notre ami doit d’abord tuer une femme volage et son amant, puis un homme d’église quelque peu dévoyé, ainsi qu’un vieux beau scotché à une bimbo trop maligne pour lui. Des missions pas du tout impossibles qu’il remplit avec un soin méticuleux, sans se faire remarquer, anonyme parmi les anonymes. À chaque fois, Keller se dit que c’est la der des ders, qu’il va remballer son petit matériel et retourner peinard chez lui à profiter de la vie, de ses timbres, dentelés ou non. Tu parles. Il y a chez lui un côté besogneux et scrupuleux, qui le poussent à repiquer au jeu. Il épingle chacun de ses meurtres comme autant de timbres uniques d’une collection qu’il ne terminera jamais…

Lawrence Block est un romancier timbré. On le sait depuis longtemps. En revanche, Keller, son héros, lui, ne l’est pas. C’est juste sa vie qui est oblitérée par la nécessité de tuer. Sans circonstances atténuantes.


Lawrence Block, « Tue-moi », traduit de l’américain par Sébastien Raizer, Série Noire/Gallimard, 19 euros, 334 p.




0 comentaris:

Publica un comentari a l'entrada

 
Google Analytics Alternative