19 d’octubre del 2016

Jerome Charyn : “L'écriture, c'est comme le sexe. Sauf que rien n'est aussi bon que le sexe”

[BibliObs, 18 octobre 2016]

François Forestier

On a enfin traduit un des meilleurs romans de Jerome Charyn, "Cris de guerre Avenue C". Rencontre


De passage à Paris, Jerome Charyn est chez lui. Il y a ses habitudes, son public, ses amis. A 79 ans, l’écrivain constate, avec une pointe d’amertume, que les lecteurs français et allemands l’apprécient mieux que les lecteurs américains. Pourquoi? Mystère. Son nouveau livre, «Cris de guerre avenue C», est l’un de ses meilleurs: situé dans Aphabet City, le quartier le plus pourri de New York («le pays du meurtre et de la cocaïne»), c’est l’histoire de Saïgon Sarah, ex-infirmière militaire au Vietnam, dans un univers totalement chaotique, avec truands, assassins, narcos.
Ecriture fiévreuse, aventures inouïes, personnages rageurs: tout Charyn est là, avec son style aussi rythmé qu’un solo de drums de Gene Krupa. L’auteur de «Marilyn la dingue» (1976), de «Panna Maria» (1986) et de «Bronx amer» (2014) a publié «Cris de guerre avenue C» en 1986: curieusement, ce roman est resté en rade, en France. Le voilà enfin traduit: on découvre une autre facette de l’œuvre de Charyn. Pour la seule fois de son œuvre, il évoque la guerre. Mais à sa manière – qui n’est celle de personne. Et c’est passionnant.
BibliObs. « Cris de guerre avenue C» est un roman atypique, parmi vos livres.
Jerome Charyn. Je l’ai écrit après la guerre du Vietnam, il me semblait que la folie ambiante des années 70 contaminait tout. Les Américains américanisaient tout, là-bas. On savait tous que c’était une guerre dingue, absurde. Mais j’avais de l’empathie pour les soldats, qui se retrouvaient dans un endroit étrange, et ils ne savaient rien faire d’autre que de transformer ce lieu en un morceau d’Amérique. J’ai donc voulu écrire un livre sur le Vietnam, mais un Vietnam imaginaire. J’ai tout transposé dans le Lower East Side de Manhattan, un lieu de pauvreté et de conflit. Saïgon Sarah, l’héroïne, est la reine de ces bas-fonds.
Vous étiez militant, politiquement ?
Je militais contre la guerre, je participais aux manifs, je me battais contre la politique de Johnson. La guerre actuelle, en Afghanistan, est aussi erronée, mais je n’ai pas trouvé de métaphore littéraire pour en parler. Il y a un film qui a réussi à évoquer ce conflit, c’est «Démineurs» de Kathryn Bigelow. Excellent.
Le livre date de 1985. On a mis longtemps à le traduire, en France…
C’est sans doute dû au fait que j’avais publié la série de «Zyeux Bleus», «Marilyn la dingue», «Kermesse à Manhattan» et «Isaac le mystérieux », qui forment le « Isaac’s Quartet ». On attendait de moi des livres dans la même veine. Or, «Cris de guerre avenue C» allait dans une autre direction. De plus, la guerre du Vietnam était terminée depuis dix ans…
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour aborder le sujet?
J’avais besoin de comprendre. Je ne peux pas écrire à chaud. C’est comme «Catch 22», le roman de Joseph Heller. Ce n’est pas un livre sur la seconde guerre mondiale, mais sur la folie américaine. Il y a des guerres qui méritent d’être menées, dont 1939-45. Mais à partir de la guerre de Corée, c’est irrationnel. La Guerre Froide a fait dérailler tout le monde dans la paranoïa. Le président Kennedy a bien résumé la chose: «S’il y a un problème, il doit être résolu.» Sauf qu’au Vietnam, il n’y avait pas de problème, donc il était impossible de le résoudre. Du coup, la défaite était inévitable.
Comment avez-vous transposé cette guerre?
J’ai utilisé ce que je connaissais : New York. A la fin des années 70 et au début des années 80, la guerre du Vietnam commençait à être montrée, dans des films comme «Voyage au bout de l’enfer» de Michael Cimino, ou «Apocalypse Now», de Francis Ford Coppola. Tout ce mouvement artistique résonnait en moi. Curieusement, alors que j’écrivais «Cris de guerre avenue C», je suis allé aussi loin que possible sur le chemin de la folie. Je voulais rendre palpable le chaos. Si j’allais plus loin dans mon écriture, je devenais incompréhensible. J’ai été à l’extrême pointe de ce qui était possible.
Quels sont, selon vous, les grands livres américains sur la guerre?
« La Conquête du courage », de Stephen Crane, qui date de 1895. L’auteur avait 24 ans ! Un livre merveilleux ! «Catch 22», que j’ai cité, a un ton drôle et absurde… Et je n’oublie pas «Putain de mort» de Michael Herr, publié en 1977, qui m’a beaucoup influencé.
Diriez-vous que « Cris de guerre» est votre unique livre politique?
Tous mes livres ont une résonance politique. Mais c’est le seul livre dont la politique est le sujet central.
Votre écriture est très marquante : vous utilisez un des formes de style qui étaient proscrites, avant vous. La répétition, par exemple.
Écrire, c’est produire de la musique. La phrase chante ou elle ne chante pas. Flaubert est mon dieu. Le maître. «L’Éducation sentimentale» est une merveille absolue. Pour moi, les livres, c’est avant tout du langage. Le sens, le message, viennent ensuite. Tout est subordonné au rythme des mots. Pour moi, rien n’existe en dehors du langage. Le reste n’est qu’un rêve : nos vies, notre univers, tout. Je suis peut-être fou, mais c’est ce que je crois profondément.
C’était votre conviction dès vos premiers livres, «Il était une fois un Droshky» ou «Eisenhower, mon Eisenhower»?
Oui, absolument. Au début, la musique ne me venait pas naturellement, comme elle coule chez Joyce ou chez Nabokov. Puis, peu à peu, la mélodie est venue sous ma plume. Elle s’est imposée.
Vous avez d’autres auteurs de référence ?
Shakespeare et Emily Dickinson. Ce sont deux auteurs dont je n’arrive pas à percevoir d’où vient leur langage. Herman Melville, je comprends. Nabokov, je comprends. Dickinson, non.
Qu’est ce que vous cherchez, quand vous écrivez?
Le silence entre les mots.
Comment est né votre personnage le plus connu, Isaac Sidel?
Je me suis inspiré de mon frère, qui était inspecteur de police à la Crim. Au fond, il me semble que je suis toujours à la recherche d’un père, dans mes livres. Car mes relations avec mon père étaient terribles. Je suis parti du foyer familial les mains vides, et ça a été une libération. Du coup, j’ai de la sympathie pour les gens qui n’ont rien, qui ne possèdent rien. C’est l’un des thèmes de «Cris de guerre».
On sent votre affection pour les sans-rien.
Nous allons vers un monde où la richesse sera de plus en plus concentrée, et la pauvreté de plus en plus répandue. C’est là-dessus que joue un homme comme Trump.
Que pensez-vous de lui ?
Je pense que tous les candidats du Parti Républicain étaient plus affreux les uns que les autres, et Trump est une erreur. D’abord, il est impossible de croire un mot de ce qu’il dit. Ensuite, il change d’avis toutes les cinq minutes. Président? Pourquoi pas? Il serait docteur Folamour !Trump, c’est le résultat de vingt ans de délire du Parti Républicain ! Décidément, il y a quelque chose de fortement pourri dans la politique américaine!
Vous avez signé quarante ou cinquante livres. Pourquoi un tel rythme?
Si on écrit une page par jour, on arrive à faire un livre par an. Donc, c’est mon rythme. Ceci dit, je passe énormément de temps à réviser et à corriger. Chaque page est relue une centaine de fois. Je prends, je reprends, je recommence, c’est un va-et-vient…
C’est comme le sexe…
Aha ! Exactement ! EXACTEMENT ! Sauf que rien n’est aussi bon que le sexe.
Revenons au sujet.
Mon écriture, donc, est le produit de mon état. Je suis un maniaco-dépressif. Selon les moments, je ne travaille pas – dépression – ou je travaille trop – maniaquerie. Je suis en analyse depuis un siècle, et ça m’a sauvé. Il y a eu une époque où j’aurais sauté par la fenêtre, sans ça.
« Cris de guerre avenue C » est donc un acte anti-dépression?
Non, c’est un acte de survie. Il y a deux choses qui me maintiennent en vie : la psychanalyse et l’écriture. La première me coûte de l’argent, la seconde m’en fait gagner. Du coup, il y a un équilibre, et je suis toujours là.
Propos recueillis par François Forestier
Cris de guerre Avenue C, 
par Jerome Charyn, 
Traduit par Marc Chénetier, 
Mercure de France, 440 p., 25,80 €


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