24 de desembre del 2015

Didier Daeninckx, "une histoire sans trou de mémoire"

[Naja 21, 7 décembre 2015]
Pierre Magnetto
Didier Daeninckx : « J’ai commencé à écrire parce que c’était une manière de reconstituer des époques historiques, d’y situer des intrigues et d’y faire revivre une part de ceux qui m’ont précédé ».

Depuis près de trente-cinq ans, Didier Daeninckx explore à travers ses romans noirs les coins les plus sombres de l’histoire de France du XXe siècle. De la Der des der à l’époque coloniale, en passant par la Seconde guerre mondiale, son œuvre donne un visage humain à ces anonymes pris dans le tourbillon de la grande Histoire, ses injustices et ses atrocités.
Dans une famille, on le dirait oiseau de mauvais augure, celui qui vient toujours rappeler les histoires qui fâchent, qu’on a glissées sous le tapis pour ne plus en parler. Didier Daeninckx n’oublie rien et, s’il ne fait pas œuvre d’historien mais d’écrivain, c’est parce qu’il veut « une histoire sans trou de mémoire ». Deux ans après Mort au premier tour en 1982, son second roman Meurtres pour mémoire lui vaut le prix Paul Vaillant Couturier et le grand prix de la littérature policière. L'ouvrage sera adapté à la télévision, à la radio et décliné en bandes dessinées. Son intrigue se noue autour de la manifestation organisée par le Front de Libération Nationale du 17 octobre 1961 à Paris pendant la guerre d’Algérie, qui fit l’objet d’une répression meurtrière par la police française.
Choc frontal avec Jean-Patrick Manchette. Meurtres pour mémoire, publié alors qu'il a 35 ans, porte déjà la signature de ce que sera son œuvre. Didier Daeninckx écrit des romans noirs dont les intrigues se déroulent aux heures les plus sombres qu’ait connu la France du XXe siècle : la première guerre mondiale et la seconde avec les camps d’extermination, la France de Vichy, la résistance, la colonisation, mettant en scène des personnages anonymes meurtris dans leur chair ou simples témoins, pris dans le tourbillon de la grande Histoire, de ses injustices et de ses atrocités.
Né en 1949 à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), ce fils d’une famille modeste, balloté par ses parents entre courants anarchiste, antimilitariste et communiste, ne renie rien de ses origines. A Aubervilliers, ville voisine où il vit désormais, il n’est pas rare de le croiser sur le marché, occupé à discuter avec les gens. C’est sur ce marché qu'en 1986 il fit sa première expérience de jeu d’écriture avec des enfants  quand, au détour d’un étal, une enseignante lui dit : « ça vous dirait de revoir la classe dans laquelle vous avez été élève ? ». D'un jeu avec la classe, naîtra son opus La fête des mères. Son goût de l’écriture, ses thèmes de prédilection, lui viennent d’abord de son enfance. « Vers 12 ou 13 ans, j’étais très attiré par une collection de livres de poche sur lesquels il y avait un petit chat aux poils hérissés qui signifiait « policier ». En voyant ce logo, je savais qu’il y aurait de la frayeur là-dedans. Depuis, je n’ai jamais cessé de lire des polars avec un goût plus prononcé par la suite pour le roman noir et les grands auteurs américains comme Dashiell Hammett ou Raymond Chandler. Pour moi, il n’y a pas de différence entre Les Tueurs d’Ernest Hemingway et La moisson rouge d’Hammett, romans écrits au même moment. C’était une période marquée par l’influence du cinéma, avec la force du dialogue, la crudité du récit, les jeux de pouvoir, la violence. Les romans de ces auteurs constituaient une manière de voir la société américaine ». Puis, au début des années 70, avec l’arrivée de Jean-Patrick Manchette, le père du néo-polar, ce fut « une rupture essentielle dans la littérature française que j’ai prise de manière frontale » et qui va marquer au fer rouge son style littéraire.
Des romans pour mémoire L’entrée dans la littérature prend sa source dans l’histoire familiale de l’écrivain. Retour à la manifestation du FLN du 17 octobre 1961 où huit personnes réfugiées dans la bouche du métro Charonne sont tuées. « Parmi elles, il y avait Suzanne Martorell, une amie de ma mère. J’avais 12 ans et je savais qui était responsable de cette mort, que le Préfet de police était l’assassin. Dès l’instant où l’on apprend ce genre de choses on regarde forcément la société et l’ordre d’une manière un peu différente que le commun des mortels. J’avais un compte personnel à régler avec ce préfet qui s’appelait Maurice Papon. Pour cela, je me suis servi du genre policier et ça a donné Meurtres pour mémoire. Puis je me suis aperçu que, dans l’ombre du souvenir de Charonne, il y avait un autre massacre perpétré six mois plus tôt à Paris, en octobre 1961, au cours duquel plusieurs centaines d’Algériens avaient perdu la vie, ça a donné Itinéraire d’un salaud ordinaire. Le choix du polar peut donc s’expliquer par la conjonction de quelque chose qui était un goût littéraire pour le roman policier dans son évolution vers le roman noir et quelque chose de totalement personnel », résume-t-il.
Des textes sobres, des phrases courtes, des dialogues brefs mais percutants, juste des faits, pas d’état d’âme, ce sont les ingrédients d’une écriture efficace. Les faits, Didier Daeninckx ne les sort pas du chapeau. Il enquête, épluche les archives et les dossiers, relis la presse d’époque, recherche des témoins, réalise des interviews, recoupe les renseignements. Si au final le récit est romanesque, la trame, elle, n’a rien d’imaginaire. « Je m’intéresse à ce que j’appelle l’histoire au vif », dit-il pour résumer sa démarche. « Quand l’histoire reste juste dans l’antichambre, ce n’est plus de l’histoire, c’est du conflit, de la politique. Quand les responsables d’événements sont encore présents, il y a une vraie difficulté pour les institutions à interroger le passé. Aujourd’hui, ces choses évoluent peut-être un peu, mais au début des années 80, la seule manière d’aborder l’histoire au vif était le domaine artistique, le théâtre, le roman, la chanson, la peinture. Sur les questions conflictuelles dans la société, c’est souvent l’artiste qui permet d’ouvrir la voie à une réflexion plus scientifique. »
Ecrire pour les enfants. Depuis Mort au premier tour, il a publié plus de cent vingt romans, récits, nouvelles, essais, textes et albums de littérature de jeunesse, piquant cette histoire au vif, exhumant du passé des secrets enfouis. En 1998, il publie Cannibale« J’ai écrit Cannibale après un voyage en Nouvelle Calédonie au cours duquel j’avais été accueilli dans des tribus kanaks. Là-bas j’étais tombé encore sur une histoire absolument stupéfiante, celle d’une centaine de kanaks qui avaient été transportés jusqu’à Paris en 1931 pour être exposés dans une cage du zoo en tant qu’hommes anthropophages, dans le cadre de l’exposition coloniale. Ce livre a connu un vrai succès, il a notamment été lu à Canala, une petite ville d’où étaient originaires une partie des kanaks qui avaient été utilisés comme anthropophages d’opérette ». Daeninckx sera invité à Canala pour y rencontrer des lycéens. De cette rencontre naîtra L’enfant du zoo, illustré par Corvaisier. Car pour être un auteur « noir », Didier Daeninckx fait aussi un parcours remarqué dans l’édition de la littérature de jeunesse sans pour autant faire de concession.
Ici aussi les thèmes abordés sont graves. Dans la trilogie Les trois secrets d’Alexandra, ce sont ceux de la collaboration, de la résistance, de la déportation vus par la jeune Alexandra. Mais écrit-on pour les enfants comme on écrit pour les adultes sur des sujets aussi douloureux ? « Je ne me pose pas les questions de cette manière. J’écris sans m’interroger sur la façon dont les phrases viennent. Bien sûr, les choses sont différentes, mais j’essaye de faire des livres pour adultes lisibles par les plus jeunes. Je ne cherche pas à pacifier mon vocabulaire. Je me souviens qu’étant gamin, dans les livres qui m’emportaient il y avait bien un dixième des mots qui m’étaient totalement obscurs. Je lisais des contes et légendes et je rencontrais des personnages avec des noms imprononçables. Le fait de partir dans l’inconnu ouvre les portes de l’imaginaire. Même si les formulations sont parfois compliquées, il s’agit la plupart du temps de livres illustrés, l’histoire ne se lit pas uniquement à partir du texte imprimé ».
Un auteur dégagé. Qu’il écrive pour les adultes ou pour un jeune public, Didier Daeninckx ne déroge pas à sa démarche, celle de la critique sociale et politique, pour redonner même aux événements les plus douloureux leur part d’humanité. Alors, un écrivain militant, engagé ? « Je n’aime pas les mots comme « militant » ou « militaire ». Quant au qualificatif « engagé », il me rappelle le « engagez-vous, rengagez-vous ! » et c’est un terme qui me fait frissonner. Rapporter ces termes à un écrivain, c’est d’un seul coup lui mettre sur les épaules tout le poids, toute la honte des années 50. Je ne peux m’empêcher de penser à tous ces écrivains qu’on disait précisément « engagés » et qui n’ont pas vu ce qui se passait à l’est. Ce terme se rapporte à une période historique qui est close. Un écrivain de cette époque a dit « je suis un écrivain dégagé », il s’appelait Jacques Prévert. Quand on regarde sa biographie, on voit qu’il s’est opposé au nazisme, mais on s’aperçoit que dans les années 50 il a refusé d’être de parti pris, qu’il a dénoncé ce qui se passait dans les « démocraties populaires ». Je suis un écrivain dégagé ».

Bio : Didier Daeninckx est né en 1949 à Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. Cet enfant du baby boom issu d’une famille populaire, tombé très tôt amoureux du roman noir, est devenu à l’âge de douze ans le témoin indirect d’une violence aveugle avec l’assassinat en octobre 1961 d’une amie de sa mère au métro Charonne lors des manifestations contre la guerre d'Algérie à Paris. Sa passion pour le polar, les traces laissées par la répression sanglante dirigée par Maurice Papon, constituent les éléments fondateurs de son entrée dans l’écriture. Ecrivain prolifique, Daeninckx a publié plus de cent récits qui lui ont valu de nombreux prix littéraires dont celui de la littérature policière ou celui du roman noir. A la fin des années 80, il a également fait son entrée dans la littérature de jeunesse. Il vient de publier deux ouvrages :  Novellas (Cherche Midi), une compilation de onze longues nouvelles, et Caché dans la maison des fous (Bruno Doucet), un roman qui retrace les histoires se déroulent dans l'Histoire de 1943-44.


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