6 de maig del 2015

Victor del Arbol – « Toutes les vagues de l’océan »

[culturopoint.com, 5 mai 2015]

Julien Cassefiere


La première goutte qui tombe est celle qui commence à briser la pierre. La première goutte qui tombe est celle qui commence à être océan. Cette phrase, à plusieurs sens, plane au-dessus du livre de Victor Del Arbol, Toutes les vagues de l’océan. Elle résume, à sa façon, l’ambivalence et la nature de l’homme ; destin individuel capable de choisir son chemin et d’ouvrir le champ des possibles pour les autres mais, également, un réceptacle des blessures du passé pesant sur chaque individu et conditionnant leur choix. Chacun des personnages du roman magistral de Victor Del Arbol peut se retrouver dans cette citation. Chacun, à sa manière, s’est engagé dans un combat. Chacun doit composer avec un passé imposé.
Quand Gonzalo apprend le suicide de sa sœur, il n’imagine pas les conséquences qui en vont en découler. Il avait une vie rangée bâtie autour d’un mariage, de deux enfants et d’une situation sociale enviable. Sa sœur et lui habitaient tous deux à Barcelone mais n’avaient plus de relations. Mais, à sa mort, des remords affleurent, des doutes apparaissent. Sa sœur avait réussi à infiltrer une organisation mafieuse, la Matriochka, dont les activités criminelles s’étendaient dans plusieurs domaines. Doit-il continuer le combat qu’elle menait ? Les remords l’assaillent. L’image de son père, héros communiste tué par la police franquiste dans les années 1960, le parcourt, lui l’homme au destin si ordinaire.
Elias Gil, justement, apparaît très vite dans le livre. Victor Del Arbol a choisi de superposer différentes époques. Le lecteur le découvre en 1933 dans un train le conduisant en URSS en compagnie de ses amis. Ce voyage initiatique dans la patrie communiste par excellence le remplit d’espoir. Il veut servir la cause, apporter son savoir d’ingénieur pour construire le paradis sur terre. Mais, ces êtres sincères et convaincus déchantent. Malgré l’enracinement de leur croyance, ils voient la mise en place d’une société de contrôle où les inégalités sociales sont criantes. Arrêté par la police, Elias Gil va être déporté sur l’île de Nazino et son destin va basculer. Cette île, tristement célèbre, a été un lieu de déportation pour 6000 personnes. Dans un contexte apocalyptique, entourée de marécages, dévorée par la faim, la nature humaine va voir ses pires pulsions se déchaîner jusqu’à la pratique d’actes de cannibalisme.
« Les hommes étaient comme les arbres rachitiques qu’on devinait sur l’autre rive, se dit-il ; jamais ils ne pourraient s’enraciner dans cette terre argileuse, ils se battraient jusqu’au bout pour survivre et s’élancer vers les rayons du soleil, mais ils périraient, putréfiés, implacablement. Il eut le cœur serré en se rappelant les rires de Claude, son enthousiasme dans le train qui les avait amenés tous les quatre à Moscou. Il y avait mille ans ? La vie de son ami était un feu d’artifice, des salves colorées, spectaculaires, mais qui devant la mort s’avéraient être des mirages : tout ce que Claude avait pu rêver, ses projets de construction, ses pensées, les femmes qu’il aurait pu aimer , les livres lus, la musique écoutée , les conversations passionnées qu’ils avaient eues sur la politique, les succès et les échecs, les joies et les déceptions. Tout mourait ici. Maintenant. La mort échappait à sa compréhension, son ami allait franchir le seuil tout seul, comme eux quand viendrait leur tour. »
Elias Gil sortira vivant mais transformé. La candeur avait laissé place à la férocité. Plus rien ne serait comme avant. La soif de vengeance allait se transformer en haine recuite. Elias Gil aura toujours sur sa route Stern, personnalisant le mal absolu dans toute sa cruauté. Le livre de Victor Del Arbol souligne la part d’ombre de chacun. De fait, il voit en chacun, héros ou salaud, une désespérance pouvant conduire aux pires atrocités. « Nous avons fait ce qu’il fallait pour survivre. Comme maintenant. Et quand tout cela sera fini, on nous jugera avec beaucoup de dureté, je t’assure. Tes enfants et tes petits-enfants te montreront du doigt, te traiteront de sauvage et d’assassin. Ils diront pire de moi, je le sais. Et ils auront raison, mais aucun d’eux ne sera ici, ni à Nazino. Les juges se prononcent toujours du haut de leur tour d’ivoire. Avec un peu de chance, si la pièce tombe côté face, d’autres écriront que tu étais un héros de la Révolution, un idéaliste engagé et courageux. Franchement, je n’en ai rien à foutre de la postérité, mais elle a peut-être un sens pour toi. »
Il participera à la guerre civile espagnole et à la libération de Berlin aux côtés des Soviétiques avec, toujours, une animosité sourde contre le genre humain. Le mal était ancré en lui, il n’en sortirait plus.
Le passé est important dans la construction des personnages de Victor Del Arbol. Il sert dans son intrigue à démêler les raisons qui poussent à agir. Ainsi, Gonzalo, antihéros, par fidélité à son père et sa sœur, s’engage modestement sur leurs traces pour, au final, découvrir une autre vérité. Le passé ne passe pas, les personnages s’adaptent mais ne parviennent pas à s’émanciper de leurs vieux démons.
Victor Del Arbol scrute les failles de la nature humaine avec une aisance remarquable. Son livre est magistral par sa construction, sa fluidité et son suspense glaçant. L’écriture glisse à travers les époques et les personnages avec une facilité déconcertante emportant le lecteur dans le tumulte de l’histoire.
Un chef-d’œuvre du roman noir à lire impérativement pour les amateurs de ce genre de littérature.
Toutes les vagues de l’océan
Victor del Arbol
Éditions Actes Sud



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