16 d’abril del 2014

Yasmina Khadra ou la campagne électorale inachevée. Entretien

[Babel Med, 15 avril 2014]

Regina Keil-Sagawe   


En mars dernier, à quelques semaines des élections présidentielles algériennes, Yasmina Khadra était invité à la Foire du Livre de Leipzig pour présenter la traduction allemande de son roman autobiographique L’Ecrivain. A peine a-t-il quitté son hôtel, au coeur de Leipzig, qu’un inconnu s’approche de lui pour l’embrasser chaleureusement : un jeune Algérien exprimant sa reconnaissance envers lui, Yasmina Khadra alias Mohammed Moulessehoul, pour avoir tenté de candidater au poste de Président algérien. Regina Keil-Sagawe, sa traductrice allemande, revient avec lui sur ses impressions de campagne électorale inachevée…

Dans votre autobiographie, L’Ecrivain, qui vient de paraître en allemand, il y a une scène qui vous présente, jeune lycéen à l’Académie militaire de Koléa, penché sur ses propres poèmes, en face du président Boumediène… Auriez-vous pensé, à l’époque, que vous vous présenteriez un jour aux élections présidentielles vous-même, comme vous venez de le faire?
Comment pouvais-je penser à une telle fonction, à l’époque? J’étais lycéen plus préoccupé par mes devoirs que par autre chose. A cet âge, je rêvais de devenir écrivain. La littérature était la seule vocation qui me faisait rêver. J’adorais les écrivains. Ils m’apprenaient à réinventer le monde que l’Armée m’avait confisqué. Je suis le descendant d’une dynastie de poètes. La vénération du verbe coule dans mes veines. J’ai décidé de me présenter aux élections présidentielles par devoir citoyen. En ma qualité d’Algérien, je ne pouvais pas accepter que l’on porte atteinte à la dignité de mon peuple. Briguer un 4ième mandat tout en étant gravement malade est une initiative déplorable et absurde.

Comment avez-vous vécu votre campagne électorale, avec une centaine de concurrents, en gros?
Avec beaucoup de chagrin. J’ai parcouru 10 000 km à travers l’Algérie et j’ai constaté combien notre peuple est traumatisé par un demi-siècle de démagogie et de désillusions. Je pensais naïvement que j’allais être rejoint par les intellectuels et les célébrités de mon pays et je me suis retrouvé totalement seul dans l’arène. Interdit de meetings, j’ai opté pour 3 rencontres littéraires dans le Constantinois, la Kabylie et à Oran, mais cela ne suffisait pas pour sensibiliser une grande partie de nos citoyens. Il faut reconnaître que les deux mois consacrés à la précampagne offraient peu de liberté d’action. Par ailleurs, j’ai financé ma campagne avec mon propre argent. Je n’ai pas reçu d’aides conséquentes et cela a pénalisé mon dispositif. J’ai donc échoué en ne recueillant que 43000 signatures sur les 60000 exigées.

Et comment vous expliquez-vous les raisons de votre échec?
Plusieurs facteurs ont provoqué mon échec. D’abord une bureaucratie partisane qui décourageait mes sympathisants. Certains de mes comités de soutien ont été infiltrés. D’autres intimidés ou menacés. Très vite, certains de mes bureaux se sont mis à fermer. Il y a même des directeurs de campagne qui m’ont abandonné. Sur le plan médiatique, j’ai été ignoré lorsque des chaînes de TV privées, affiliées au Régime, ont défiguré mon image. Par ailleurs, mes lecteurs ont refusé que je me jette dans la gueule du loup, convaincus que j’allais perdre et, peut-être, me faire assassiner. L’atmosphère était malsaine. Malgré ma volonté d’aller jusqu’au bout, rares sont les gens qui m’ont encouragé. J’ai eu d’excellents scores dans la Kabylie et dans les Aurès, et des résultats catastrophiques dans l’Oranie, c’est-à-dire dans ma propre région.

Ce qui ne surprend guère si on sait que l’Oranie est en même temps le fief du Président Bouteflika … Et quel aurait été le programme politique du président Moulessehoul?
La normalisation de la vie des Algériens persécutés par les institutions et ignorés par les décideurs. Mon programme axait l’effort sur la nécessité de permettre à l’Algérien d’accéder à la citoyenneté. L’Algérien n’a pas le sentiment de vivre dans son pays. Il n’est respecté par aucune institution et il n’est pas écouté par les dirigeants. Sa vie est faite d’angoisses récurrentes, d’incertitudes et de dégoût. Nos jeunes n’ont plus de rêves et aucune perspective. Les plus téméraires sautent dans des barques de fortune pour rejoindre l’Europe. Beaucoup d’entre eux meurent au large. L’école algérienne est sinistrée. L’enseignement est devenu un marché parallèle. L’université ne produit plus d’élites ou de cadres. Le pouvoir se maintient en corrompant les esprits et les consciences. Il n’a ni projet de société ni compétence. Il se contente de vider les caisses de l‘état en lançant des chantiers gigantesques qui profitent à la mafia de l’immobilier et aux gros bonnets.

Dans certains blogs il est même question d’une «République Bananière-Algérienne Bouteflikiènne» …
Mon programme était de lutter contre cette insanité, réapprendre au peuple à travailler, faire en sorte que la manne pétrolière fasse de nous des bâtisseurs et non pas des rentiers, des créateurs d’emplois et de richesses, et non pas des assistés. Malheureusement, le pouvoir algérien détient toutes les ficelles et refuse d’en céder un bout à ceux qui ne partagent pas la grosse galette avec lui. Sa force et sa longévité reposent exclusivement sur l’absence de solidarité nationale et le manque d’ambition. En Algérie, celui qui a un os le ronge dans son coin en se fichant du reste. Cependant …

Cependant, il y a eu le mouvement « 15 ans Barakat », et des voix courageuses dans la jeunesse algérienne, il y a le rappeur Anes Tina, par exemple, avec son vidéo-clip « Message au Président » qui suggère à Bouteflika d’aller se reposer, ou bien Democratoz, le groupe de reggae oranais, avec leur chanson «Mazal»?
En effet, rien n’est tout à fait perdu. Des voix sont en train de protester, des marches sont déclenchées et l’éveil de la nation est en train de gagner les franges défavorisées. J’espère que notre peuple ira voter massivement pour chasser le régime. En toute démocratie. Et qu’il ne cèdera pas aux provocations des gouvernants car la violence, cette fois, nous achèvera pour de bon.

Déception et fatigue mises à part, quelles sont les leçons que vous avez pu tirer de votre tentative de candidature présidentielle?
La précampagne a été très courte (2 mois) pour construire une expérience probante. Ma tournée à travers l’Algérie m’a réconforté dans mes analyses. J’ai au moins la consolation de n’avoir pas raconté n’importe quoi dans mes romans consacrés à mon pays. J’ai constaté, sur le terrain, combien le mal infligé à mon peuple est profond et combien la lutte pour accéder à la citoyenneté et à la démocratie est une épreuve titanesque. Mais, j’ai observé des foyers de résistance par endroits et je me surprends à croire que rien n’est impossible et qu’avec un maximum de persévérance, l’Algérie finira par s’éveiller à ses chances et à ses rêves. 

Vous venez de jeter un pavé dans la mare avec la sortie, à Paris, de votre nouveau roman, « Qu’attendent les Singes … ? ». S’agit-il d’un règlement de comptes?
Je n’ai de comptes à régler avec personne. Je suis un écrivain qui essaye de sauver les rares meubles qui restent dans mon pays. Mon roman est une radioscopie de l’Algérie. Il situe les vrais problèmes qui nous empêchent d’aller de l’avant. Et le problème est d’abord moral avant d’être politique. C’est une immersion dans une réalité insoutenable, dans une décomposition sociale et intellectuelle sans précédent. Malgré la cabale déclenchée par le pouvoir algérien contre moi, le livre s’arrache en Algérie. Mes lecteurs savent que ma colère est saine, que mon regard est lucide et que l’amour que j’ai pour mon pays est immense. J’ai choisi le roman noir pour décrire la Vallée des ténèbres qu’est devenu mon pays, les desseins malveillants qui ont squatté les esprits, la corruption qui a tendu ses tentacules jusque dans les consciences. C’est le roman du trafic d’influence et des trahisons, mais il reste positif puisque que mes personnages sont intègres et vaillants et se battent pour que la justice soit sauve. J’ai écrit ce livre pour dénoncer un système rébarbatif, obsolète et nocif que les Algériens doivent absolument proscrire, seule condition d’accéder enfin à la dignité et à l’émancipation.

Dans un récent entretien à un journal français, vous avez qualifié le régime algérien de zombie. Votre roman serait-il un roman-clé …?
C’est exact. Le régime algérien est un mort-vivant qui se nourrit de nos cauchemars. Mon roman le raconte sous toutes les coutures. C’est effectivement un roman à clé. Je connais mon pays, ses mentalités, ses points faibles et ses points forts. Le code existe, à nous d’oser maintenant. Beaucoup ont peur d’ouvrir la boîte de Pandore, d’autres sont certains que sous la trappe, il y a un passage qui mène à notre salut. Le régime fait croire au peuple que sans lui, c’est le chaos. Mon roman prouve que le chaos est le régime lui-même et qu’il nous appartient, à nous les Algériens, de choisir entre se débarrasser de la chape de plomb ou y fondre.



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